Vous avez déjà essayé de faire rentrer dans un chas d’aiguille un fil un poil trop épais ? Ou dans un poste de travail un salarié trop jeune, trop vieux, pas assez qualifié, trop mère célibataire, bref, nous parlons d’une aiguille sélective qui exige un fil différent pour chaque tissu abordé, même si c’est juste pour le repriser.
C’est un peu le défi de nos élus locaux et nationaux qui doivent presque tous leur siège à un engagement électoral puissant : diminuer le chômage et favoriser l’accès à l’emploi pour tous.
Evidemment, une couturière habile va rapidement changer d’aiguille, c’est à dire intervenir sur le mode d’entrée dans le tissu. Tous les gouvernants européens l’imitent en facilitant la flexibilité du travail. En France aussi, où le CDI ne concerne que 5% des embauches (source Insee 2014 ). C’est plus ou moins discret, on est d’accord ou pas, mais dans un contexte économique mondialisé, mouvant, financiarisé, la précarisation du salariat semble inéluctable.
Nous regarderons de plus près dans un autre billet les tentatives, ici ou là, pour garantir tout de même aux citoyens sécurité, stabilité et prospérité (ou : système D, dégradation sociale et culpabilisation à outrance), selon la culture et l’histoire de chacun.
Nous nous intéressons aujourd’hui aux façons de tordre le fil pour qu’il rentre dans le trou. Bienvenue dans le monde de l’insertion professionnelle, qui a vu se créer ces dernières décennies de nouveaux métiers « d’accompagnement », des dispositifs, des structures, des « publics cible », des contrats aidés, des zones franches, et bien sûr, des sujets de thèses pour des sociologues et autres observateurs de nos dérives collectives, où l’on déclare brutalement « inapte », « inemployable », « loin de l’emploi avec des dégradés : très éloigné, assez proche, etc »…des personnes disposant comme vous et moi d’une tête, de mains et de jambes et d’une envie de trouver leur place.
C’était déjà le cas des allumeurs de réverbères, des cochers, des poinçonneurs, des sténodactylos…Il leur a fallu se reconvertir, et je laisse sur ce passionnant sujet la parole à Sylvaine Pascual qui a fait de l’art d’aller chercher nos ressources cachées un blog quasi-militant pour l’épanouissement individuel.
Depuis, après les trente glorieuses que nos parents évoquent avec nostalgie (ah les parcours linéaires où toute sa vie on avait le même conjoint, la même maison, le plein emploi, le même patron, les mêmes étapes de vie, baptême, service militaire, mariage !) nous savons que nous évoluons dans l’incertitude. Edgar Morin nous le rappelle : » Il faut distinguer pour les décennies à venir le prévisible, le probable et l’incertain, en tenant compte que très souvent l’inattendu arrive. » (L’An I de l’ère écologique et dialogue avec Nicolas Hulot).
Alors, quid des salariés licenciés, inexpérimentés, pas mobiles, trop préoccupés par leurs besoins immédiats pour se projeter avec élégance dans ce futur proche porteur d’opportunités, de changement, d’espoir ? Comment les faire quand même rentrer dans ces entreprises qui sont dans l’immédiateté et se disent préoccupées par « limiter les risques » (traduire : de prud’homme, d’absentéisme, de faible productivité..) quand elles recrutent ?
Les services publics tentent de casser le phénomène de « file d’attente » qui fait que même pour un emploi non qualifié et de courte durée, un postulant expérimenté, mobile, enthousiaste et en pleine forme grille la politesse aux autres qu’il faut donc rendre à leur tour, sinon désirables, au moins acceptables aux yeux des recruteurs. Ici l’aide au permis de conduire, là la formation aux métiers du coin, allègements de charges sociales, primes, l’insertion professionnelle est à la fois :
– un ensemble d’actions et de mesures collectives dont certaines relèvent des compétences de l’Etat, de la Région, du département ou des élus locaux (la loi NOTRe devrait simplifier tout ça à partir de 2016),
– la gestion de l’accès à ces mesures et dispositifs : des « accompagnateurs » y orientent le « public » et c’est là que ça se complique, vu la diversité des financements et des intervenants.
Les « accompagnateurs »
Ils constatent avec un chercheur d’emploi qu’il ne pourra travailler pour des durées suffisamment longues (une référence courante : 6 mois ou plus) tant qu’il n’aura pas aussi réglé son problème de ….Puis arrêtent avec lui les démarches nécessaires, compte tenu des solutions envisageables, et l’adressent aux partenaires concernés (d’autres accompagnateurs, spécialisés dans le logement, la santé, les transports, etc…)
Par exemple, une mère célibataire sans famille ni amis disponibles doit d’abord trouver une solution de garde d’enfants pour envisager la plupart des postes auxquels lui permettraient d’accéder ses compétences, une personne qui ne maîtrise pas le français oral et de plus en plus écrit ne trouvera que des emplois très saisonniers, un jeune sans aucune expérience doit souvent « découvrir » lors de stages en entreprise les règles de hiérarchie et d’acceptation des consignes internes etc…
Les professionnels de l’insertion professionnelle, métiers récents et dont l’appellation diffère (référent, conseiller en insertion, accompagnateur…) sont nés quand les services publics ont quitté les zones peu peuplées et les banlieues, un peu comme leur relais : peu connaissent l’ensemble des solutions et financements possibles pour se former, se loger, vérifier la viabilité de son projet de création d’activité…Et de plus en plus, il leur faut chercher des réponses dans une autre ville, voire une autre région : le demandeur d’emploi a une piste d’embauche, mais comment gérer son déménagement ? etc…
La qualité de leur « accompagnement » s’apprécie sur trois points :
– Leur capacité à réaliser avec la personne un diagnostic efficace et un plan d’action réaliste qui garde bien l’emploi comme objectif final (et rien d’autre quand on parle d’insertion professionnelle),
– Leur capacité à aller chercher de l’information auprès de nombreux partenaires (logement, santé, etc…) et souvent, à réaliser des montages un peu tordus pour faire rentrer leur public, souvent atypique, dans les rouages des dispositifs : les personnes « en insertion » sont souvent bloquées dans un faisceau de contraintes qui interagissent pour rendre la situation inextricable. Par exemple, il faut avoir un véhicule pour pouvoir exercer le métier d‘aide à domicile mais pour pouvoir acheter ou réparer le leur les candidats doivent travailler. Ou : certaines personnes sont hébergées temporairement chez des amis en échange de services plus ou moins formels (faire du bricolage, s’occuper d’enfants…) ce qui les rend indisponibles pour aller à des entretiens d’embauche ou même d’accompagnement. Or pour avoir un logement il faut travailler…
– Leur capacité à repérer des solutions manquantes de façon récurrente et à proposer, piloter, organiser des actions locales et innovantes avec leurs partenaires afin d’y faire face.
Le « public »
Ce sont des gens comme vous et moi, repérés comme « à risque d’exclusion sociale et professionnelle » par de nombreuses statistiques, études et rapports. Les clichés sont tellement caricaturaux sur « les risques encourus » par un recruteur que nous nous gardons bien de polluer notre article avec les « menaces » que représenteraient pour une entreprise un sénior, un parent isolé, une personne handicapée etc…Notre article sur les « contrats aidés » rappelle quelques règles de bon sens pour accueillir et faire évoluer l’ensemble des salariés, et montre ce qu’on peut en attendre (et vice et versa) selon leur « saison » en entreprise.
Dans un autre article, je vous parlerai du parcours de Robert (prénom changé volontairement) qui est passé du statut de cancre à celui de formateur en espaces verts et chef d’entreprise…
Aller plus loin :
Nous pouvons vous accompagner dans vos efforts d’intégration de salariés dont les profils sont différents de ceux que vous recrutez d’habitude. Réussie, la mixité sociale est source de dynamisme et d’innovation ! Pour cela, contactez-nous ici
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